Mes amours, "les aidants"...

Je ne pourrai jamais décrire ce que j’ai lu dans leurs yeux ce jour de janvier 2015, quand on m’a diagnostiqué un cancer du sein et que j’ai dû l’annoncer, avec des mots simples, à mes filles, ma famille et mes amis. Je n’oublierai jamais l’expression de leurs yeux, juste avant que mon mari et mes enfants ferment la porte et me laissent à l’hôpital, la veille de la première étape de mon parcours contre le cancer du sein. Je suis allée sur le balcon de ma chambre dans cette jolie clinique dédiée à la santé des femmes, et j’ai vu mes trois trésors quitter le parking et rentrer à la maison. Je voulais les suivre, je ne voulais pas être là, dans cette chambre, toute seule, avec cette chose dans mon sein. Je voulais remballer mes affaires, courir jusqu’au parking, arrêter la voiture et monter dedans. Je voulais rentrer à la maison avec eux, cuisiner un bon petit plat, regarder la télévision... Simplement revenir à une vie normale.  Je me souviens d’avoir pensé que je me réveillerais le lendemain et que tout ça n’aurait été qu’un cauchemar, que ça ne pouvait de toute façon pas nous arriver à nous. Dans ce chapitre, j’aimerais parler de ce qui compte le plus pour nous et notre famille, de la façon dont le cancer du sein peut impacter la cellule familiale, et de la vitesse à laquelle on réalise qu’il est plus simple de gérer un cancer du sein que la peur, la tristesse que nous créons autour de nous... La profonde inquiétude, la tristesse, les larmes et l’anxiété dans les vies de ceux que l’on aime. C’était le pire, selon moi. Devoir annoncer aux personnes qui m’aiment que j’avais un cancer du sein, et qu’en attendant mes résultats finaux et mon protocole, je ne savais pas comment tout cela allait se terminer. Il ne m’a pas fallu beaucoup de temps pour réaliser que j’allais non seulement devoir me battre contre mon cancer, mais aussi veiller à ce que ma famille ne s’écroule pas. J’allais devoir maîtriser l’art de « maintenir le cap dans la tempête » à la maison pour l’année à venir voire les suivantes et, je le réalise aujourd’hui, peut-être jusqu’à la fin de mes jours. Ils allaient tous être entièrement tributaires de mon ressenti et de ma forme physique, du premier jour jusqu’au dernier. Et ils le sont encore aujourd’hui, même si je suis guérie. C’est difficile à expliquer, mais il devient très difficile pour nos amis et notre famille de « réagir en conséquence ». Le cancer du sein est le grand-huit émotionnel le plus haut que je connaisse, et toute la famille est obligée de monter à bord. Un « ticket de groupe », en somme. Ma règle numéro 1 était d’être aussi en forme que possible, aussi heureuse et souriante que possible, de ne jamais me plaindre. Je peux vous promettre que j’ai essayé, tous les jours, toutes les minutes et toutes les secondes, d’être leur héroïne. J’y ai consacré beaucoup d’efforts pour protéger mes proches, en vivant mes traitements et mon cancer du sein aussi naturellement que possible, comme si ce n’était qu’une « pluie passagère » et que j’allais gérer et chasser cet invité indésirable de la maison. Tous les jours, je voulais qu’ils aient confiance en moi quand je leur disais cela. Et comme je fais toujours ce que je dis, il n’y a pas à discuter. Du moins, c’est comme ça que je voyais les choses. Mais bien évidemment, ce n’est pas aussi facile au quotidien. Parfois, les effets des traitements et les hormones prenaient le dessus. Plus aucun contrôle. Mauvaise humeur ? Possible. S’ils pleuraient, je leur demandais d’arrêter. S’ils me plaignaient ou affichaient trop de compassion, je leur demandais de cesser. Je ne voulais pas donner le plaisir à mon invité indésirable de voir et sentir l’impact qu’il avait sur nos vies. S’ils riaient, je voulais qu’ils continuent, qu’ils soient heureux, qu’ils puissent oublier notre situation ne serait-ce qu’une seconde. Mais parfois, ils s’arrêtaient net, car ils craignaient d’être blessants étant donné que ce que je vivais n’était pas drôle. Il m’arrivait de demander de l’aide, et ils adoraient me porter secours, me tendre un bras pour me tirer du lit. Et le lendemain, quand ils me proposaient spontanément leur aide, je pouvais refuser et leur dire que je n’avais pas besoin d’eux pour sortir du lit. Ils pouvaient cuisiner mes plats favoris, en utilisant tous les ingrédients anticancer que j’avais listés, et je leur rétorquais que je préférais manger autre chose pour une raison qui leur était inconnue. Mon mari pouvait se mettre sur son trente-et-un pour me montrer qu’il tenait à moi et voulait me séduire... Mais j’étais capable de lui demander d’aller prendre une douche pour se débarrasser de son parfum, même s’il sentait très bon, parce qu’il était trop fort pour moi après ma thérapie cellulaire. Mes filles et mon mari pouvaient me dire à quel point ils me trouvaient belle...  Un jour, je leur répondais que j’étais d’accord avec eux et que je ne me sentais pas trop mal avec ce nouveau look.  Et un autre jour, je devenais triste et leur demandais de ne pas me dire quelque chose qu’ils ne pensaient pas juste pour être gentils. J’implorais mon mari de ne pas annuler ses voyages d’affaires et ses réunions client, même les jours où j’avais ma thérapie cellulaire. Je l’obligeais à partir, je l’aidais même à faire ses bagages, en lui disant que c’était ce que je souhaitais. Je ne voulais pas qu’il devienne une autre victime de mon cancer du sein. Il pouvait opposer une résistance, mais je finissais toujours par gagner avec cette phrase : « Notre invité indésirable n’aura pas le plaisir de te voir annuler des réunions client importantes. »  Mais quand il partait enfin, je me réfugiais dans la salle de bains pour pleurer, à l’abri du regard de mes filles, pleine de rage. Certains jours, je pouvais danser et monter le volume à fond, et d’autres, le bruit m’était insupportable. Quelqu’un pouvait se plaindre d’avoir mal à la tête, puis soudainement se tourner vers moi et regretter ses mots avec un regard « triste », en me disant : « Désolé Cecilia, je ne voulais pas me plaindre, ce que tu as est bien pire ». Mais leur bien-être m’importait ; je voulais qu’ils restent eux-mêmes, spontanés. Les deux n’étaient pas comparables. Vous voyez ce que j’entends par « grand-huit » maintenant ? Aujourd’hui, je considère que nous avons été chanceux, car j’avais conscience de tout cela et j’ai globalement su rester positive et vivre à peu près normalement. Mais toutes les femmes ne réagissent pas de la même manière. Je sais désormais que la famille et ceux qui nous aident, comme les amis, devraient être informés par une personne neutre, ou le médecin, de ce qu’ils vont traverser. Ils doivent s’armer de patience, de confiance, d’amour, de compréhension et de foi. Beaucoup de femmes finissent seules ou divorcent pendant ou après un cancer du sein, et je suis persuadée que cela pourrait en grande partie être évité si les associations et le personnel médical soutenaient les familles pour qu’elles puissent accompagner les patientes pendant leurs traitements. Je n’ai pas le souvenir que quelqu’un ait proposé de l’aide à mon mari ou lui ai demandé comment il se sentait, ou s’il pouvait être soutenu d’une quelconque manière.  Tout le monde pense que je suis la seule à me sentir mal, mais dans l’histoire, je suis sûre que c’est encore plus difficile pour nos proches. Mes filles sont en quelque sorte devenues plus vulnérables, et leurs amis leur posaient beaucoup de questions. Certains ont été vraiment méchants, d’autres ont fait preuve d’amitié et de compréhension. Je me présentais toujours devant leurs amis avec quelque chose sur ma tête pour avoir un look « normal ». L’objectif était évidemment d’éviter qu’ils posent encore plus de questions à mes filles. Je prenais le temps de leur expliquer à ma façon ce qui se passait pour ne pas laisser de place aux interrogations et aux rumeurs. À 10-12 ans, il est crucial de préserver leur état d’esprit et de veiller à ce qu’ils continuent à voir la vie de façon neutre et à se comporter naturellement. Mes filles sont devenues des adultes miniatures. Elles aidaient à la maison, cuisinaient, faisaient leurs devoirs, et organisaient même leurs trajets pour aller à l’école ou à leurs activités extrascolaires quand mon mari était en voyage d’affaires. Je les entendais discuter, raconter des histoires dans la cuisine, résumer leur journée et parler de moi.  J’entendais soudain leurs petits pieds courir dans les escaliers pour me rejoindre dans la chambre avec quelque chose qui me ferait du bien après une opération ou une thérapie cellulaire. Elles faisaient tout cela parce qu’elles avaient appris et parce qu’elles se battaient aussi, avec moi. Elles ont été extraordinaires et le sont toujours. Mon mari, avec l’amour et la résilience dont il a fait preuve et dont il fait preuve encore aujourd’hui, est extraordinaire. Ce ne sont pas des mots en l’air. Il est mon tout. Comme vous l’avez lu et compris dans mes articles précédents, j’étais résolue à me battre, à accepter et à anticiper. Ma famille a été absolument fabuleuse, et je lui dois beaucoup. Je n’aurais jamais pu y arriver s’ils n’avaient pas accepté mes hauts et mes bas, mes exigences en termes de nutrition, mes routines, etc. Je ne peux pas imaginer ce que mes filles ont dû ressentir en voyant leur mère devenir une personne complètement différente, et mon mari en dormant près d’une étrangère. Ce processus est extrêmement complexe, et certains s’en sortent mieux que d’autres. Je crois que cela est dû au fait qu’on se focalise totalement sur la patiente et non sur la famille, dans de nombreux pays.  Je demande à tous ceux qui lisent ces lignes, les patientes, le personnel médical, les associations de soutien aux familles et aux patientes, de garder à l’esprit que ceux qui nous aident ont également besoin de soutien. Ils ont besoin de moyens et d’informations pour nous accompagner, et doivent les recevoir d’un professionnel. Ma famille a été embarquée dans cette histoire sans avoir le temps de s’informer.  Tout ce qu’ils savaient, ils l’avaient appris à travers moi, parce que je m’étais renseignée de mon côté. Ils n’ont pas pu se faire leur propre point de vue sur la situation. C’était mon point de vue. Ma famille a mis énormément de choses de côté pour moi, parce qu’elle a réussi à accepter, comme moi. Mais encore une fois, tout le monde ne réagit pas de cette façon, et les familles ont vraiment besoin de soutien, et ce dès le départ. Elles doivent se préparer au grand-huit, comprendre le pourquoi du comment, accepter et gagner en tolérance. Pour moi, ça a été salvateur. Pour moi, le combat ne pouvait pas être gagné si mon équipe n’était pas aussi bien équipée et informée que moi, si elle ne comprenait pas le rôle qu’on lui avait donné à jouer malgré elle.  C’est notre destin : nous étions et demeurons une équipe qui gagne, malgré ce gros détour que notre route a pris.  Sur ce blog, vous trouverez d’autres articles sur l’acceptation, le fait d’être mère, mon parcours de soins et mes traitements. Ma famille, mon TOUT et vous... mes héroïnes !

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